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2 mars 2011 3 02 /03 /mars /2011 12:03

cafe

 

«  Tu te rends compte. Il est même pas venu? »

 

Le barman tire la moue, à peine intéressé :

 

« Qui ça? »

 

Un peu aigri d'être laissé de côtés, Germaine, une dame forte rustaude, se joint à la conversation.

 

-« Bah le Robert ! Pardi ! Pas une lettre ou une fleur … Que dalle!"

 

- "Pourtant pour se rincer le gosier avec le vieux Louis, c'était pas le dernier."

 

-"Ouais cul et chemise qu'ils étaient, tout le temps au bistrot à refaire le monde..."

 

-"Dire qu'il est même pas venu au pot de la famille … Je veux dire, c'est pas le genre de truc qu'il pourrait trouver une excuse pour pas y aller."

 

-"Il me débecte. On est pas assez bien pour lui faut croire... On est son auditoire, son public pour ses exploits mais dans les coups durs, plus personne. Une enflure. Une crevure qui cherche à se faire mousser. Juste bon à être pisser voilà ce qu'il est !!!"

 

- "A ce qu'on dit il serait rentré à l'amicale juste pour trouver son boulot »

 

J'incline ma tête, ma curiosité piquée au vif , véritable rapace, mon oreille plane au-dessus du comptoir.

 

«  M’étonne pas... Un lécheur comme j'ai rarement vu, un pistonné de la première heure... »

« L’amical, j't'dis ... »

 

Robert, je ne l'ai jamais connu dans la promiscuité. C'était un petit gars avec un petit embonpoint, cheveux frisés, joues toutes rouges, avec un petit nez surplombé de lunettes rondes. Il faisait partie du décor du bar.

Il s'arrêtait couramment s'en jeter un derrière la cravate, dès qu'une pause le permettait. A midi, a dix heures ou quinze heures, le cul fermement posé sur un tabouret. Ça jasait pas mal sur son dos ici. Faut dire sa réussite relative suscitait quelques jalousies. Aussi, cet employé émérite de la poste aurait envoyé au garage pas moins de quatre véhicules de fonction, les envoyant immanquablement à la sortie de la ville au premier virage venu. Légende urbaine ? Sinistre vérité ? Seul Robert et la poste savaient. La seule chose qui était sure, c'était que le sympathique bonhomme buvait comme un trou sans fond.

Qu'avait-il encore fait pour que ses compagnons de beuveries en arrivent à dévoiler en public ses secrets les plus odieux. Car ici le piston, c'était vu comme la pire des compromissions possibles. « S'en sortir oui mais en gardant sa dignité ».  Mot d’ordre, véritable leitmotiv de cette masse d'indigent qui se donne rendez-vous à ce bar , pour qui le salut, si il n'était pas dû à la force des individus, n'était qu'une planche en bois pourrie, qui aurait tôt fait de sauver sans grâce aucune l'homme à la mer et lui donnerait une vie encore plus médiocre qu'elle ne pouvait l'être. Le rescapé gardant sa planche et la bénissant comme un veau d'or. Autant se noyer définitivement dans une action héroïque en tentant de faire cent kilomètres à la nage, au moins l'honneur serait sauf.

 

Ah j'en vois parmi les lecteurs s'interroger comment ces personnes assistés par l'Etat peuvent-ils tenir ce genre de raisonnement ? Quelles étranges contradictions les animent ? Pourquoi faire la fine bouche pour une main tendue et accepter le RSA ?

La réponse est simple, l'obole de l’État, cette maigre pitance, est totalement désincarné et quasi mystique. Obscurcie par une nébuleuse administrative, des rendez multiples, des contraintes kafkaïennes, des employés souvent dépassé et parfois odieux. Cette obole n'a rien de gratuit en soi. On ne vous la donne en rien. Juste en comprendre le fonctionnement (sans cesse remanié au grès d'un alinéa de loi) revient à apprendre une langue dont la grammaire changerait selon l'interlocuteur et selon les années. Un printemps perpétuel de la découverte se révélant par le biais d'un versement mensuel moins conséquent sur le compte bancaire (si vous n'êtes pas déjà interdit dans ces officines...). Un parcours administratif proche des écuries d'Augias.

Et s'amuser à toucher de l'argent d'un État qui vous a spolier bien plus durant vos années de labeur, admettez que ce n'est qu'une remise à zéro des comptes.

 

Alors qu'accepter une main tendu, il faut en découvrir la provenance, si elle est propre, savoir l'intérêt qui se cache derrière cette aide, quel compte vous aurez à rendre. En bien des cas, les âmes charitables si prompt à aider leur prochain , ne cherche rien de plus qu'à vous exploiter d'une manière plus raffiné. Il arrive qu'en acceptant cette main, vous pactisez avec le diable. On peut y perdre plus qu'on y gagne. Tout cela est très relatif cependant, en bien des cas  cette main sera acceptée si elle est tendue de bon cœur mais la vie vous apprend que le bon cœur n'est pas une vertu universelle. Et quand la multitude vous laisse si gentiment vous noyer, la main qui vient vous sauver semble, alors, suspecte.

 

J'attendais donc douze heures pour en savoir un peu plus. Ma curiosité à l'égard de Robert se faisant grandissante.

 

Entre Robert l'air penaud et insouciant comme à son habitude:

 

« Salut tout le monde »

 

Un silence pesant fut l'unique réponse, plus un bruit dans le bar, tous les regards tournés vers sa petite personne.

 

« Bah quoi? »

 

C'est Dédé qui lança l'affaire sur le comptoir comme on sort un cadavre d'un placard.

 

« Le vieux Louis!»

 

La voix de Dédé était pleine d'une colère à peine contenue.

 

« Quoi le vieux Louis ? Il est mort le vieux Louis ! C’est quand même pas ma faute.»

 

Robert était véritablement foudroyé par les regards de l'assistance. Il semblait pris de tristesse à l'évocation de son frère de cuite, pour un peu, des sanglots auraient éclatés.

 

 

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P
<br /> la suite la suite !!!!!<br /> <br /> <br />
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